Oasis zero for Ophelia par David Supper Magnou - Texte critique d'art par Elora Weill-Engerer - DDessin 2019

BOIRE L’EAU DE DAVID SUPPER-MAGNOU

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12 avril 2019

 

    L’oeuvre de David Supper Magnou a un peu l’apparence de feuillets intimes recensant les rêves, les idoles, et les projets qu’un enfant aurait punaisés dans sa cabane en forêt. Entrer dans cette cabane, c’est entrer dans son monde : son histoire, sa personnalité, ses idées. L’itinéraire du cheminement poétique y est indiqué avec douceur. Des pages de carnets, des recherches, des palettes de couleur font écho à des oeuvres plus travaillées et composées dont on montre le processus créatif avec amusement. S’engendrent des images à la fois uniques et différentes, toujours graphiques, qui révèlent l’avant, le pendant et l’après de la démarche artistique, laquelle est optique et multiforme.

 

    Au sein de l’ensemble présenté en solo show à DDESSIN19, une pièce, maîtresse, est clouée sur panneau de bois récupéré. Le personnage principal de la scène est une figure bien connue de la littérature et de la peinture anglo-saxonne : la Ophelia de Hamlet représentée par le préraphaélite John Everett Millais. Mais ici, l’ondine romantique shakespearienne aux couleurs chatoyantes a plutôt l’apparence d’une convalescente à la dérive au cours d’un mauvais bad trip sans couleur. Dans une eau sombre et marécageuse, elle côtoie une déchetterie aussi nombreuse qu’hétéroclite. Une sandale salle, un gobelet Starbucks ou un ticket de métro se distinguent parmi l’amas de rebuts emportés dans le torrent. Un imposant tuyau d’évacuation vient alimenter le flux pollué de scories et reliquats modernes. La mort y établit son règne : un crâne qu’on pourrait croire être celui du « poor Yurick » auquel parle Hamlet est en fait une référence aux cadavres jetés dans le Gange par les castes basses de l’Inde. Un triste tableau décadent, semble-t-il, comme une bouteille d’Oasis le suggère de façon éponyme : « Oasis zéro for Ophelia ». À première vue, la fresque est un vaste monochrome gris, dont les nuances sont données par lavis d’encre de chine, Rotring® ou poudre de graphite diluée. Ce camaïeu un peu terne lie entre eux les détritus de natures diverses. Pourtant, dans cette débâcle de mauvais augure, un papillon, en position centrale de la composition, forme le point le plus coloré de la grisaille. Cette espèce de papillon a fasciné David Supper-Magnou pour sa capacité à parcourir des distances énormes afin de se reproduire. Figure de l’espoir, symbole de l’âme – psyché-, également, il forme un signe échappatoire à ce bourbier post-apocalyptique.

 

    Comme dans plusieurs autres oeuvres de l’artiste, le tableau joue sur la familiarité du visuel dont l’impact est d’autant plus fort qu’il est détourné. L’histoire, toujours, est ouverte, c’est-à-dire plurielle et libre d’interprétation. Dans un rapport courant d’hommage ou de respect vis-à-vis des maîtres ou des figures qui comptent pour David Supper-Magnou, les vignettes parlent avant tout de ce qui lui parle, à lui. Et en parlant de lui, ça nous parle, à nous.

 

    Elora Weill-Engerer, Critique, commissaire, historienne de l'art

 

Source : https://artnbox.fr/boire-leau-de-david-supper-magnou/